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Un baiser comme pour de vrai

 

« Le baiser de l’hôtel de ville » synthétise, en une seule image, l’idée que se font les étrangers de ce qu’ils appellent « le romantisme à la française » et qui vaut à Paris la réputation de capitale internationale des amoureux. Ces deux-là s’aiment si fort qu’ils ne peuvent attendre d’être dans un endroit plus approprié pour s’embrasser. Cela pourrait sembler surfait mais il n’en reste pas moins que le charme opère. C’est typiquement le genre de couple sur lequel chacun se retourne discrètement avec une pointe d’envie. Ils sont jeunes, beaux, insouciants, visiblement passionnés… Pour peu que l’observateur, pour ne pas dire le voyeur, soit nostalgique de ses jeunes années, ou tout simplement en mal d’amour, la jalousie peut être dévorante. Et le ressenti est le même dans la rue ou face à cette photographie, parce qu’elle est tout aussi réaliste que le réel.

 

Tout y contribue : l’homme à gauche, indifférent, qui poursuit sa route ; le regard vaguement inquisiteur de la femme à droite ; un autre passant à peine visible ; l’épaule d’un l’homme au premier plan, assistant en terrasse au spectacle de la vie parisienne qui se joue sous ses yeux ; une voiture qui traverse l’arrière-plan… La scène et vivante. Le temps s’arrête pour les deux amoureux, figés dans leur baiser comme pour l’éternité, mais tout autour d’eux continue de défiler à une vitesse folle. Robert Doisneau a pourtant révélé que cette photographie avait été mise en scène. Le couple était un vrai couple et leur baiser était un vrai baiser, mais ils posent. C’est en les ayant vus s’embrasser par hasard que l’artiste a voulu immortaliser cet instant et leur a demandé s’ils voulaient bien recommencer devant l’objectif. Malgré cet aveu, l’illusion de la spontanéité reste intacte.

 

Outre la jalousie et l’impression de faits réels pris sur le vif, cette image suscite l’envie de connaître le contexte, de formuler des hypothèses. Le spectateur s’imagine que les amants viennent de se retrouver, se sont donnés rendez-vous devant l’hôtel de ville et, ne s’étant pas vus depuis plusieurs jours, ne peuvent résister au désir de s’embrasser, malgré le trottoir encombré sur lequel ils se trouvent. Ou alors ils se promenaient et l’un des deux a murmuré quelques mots doux à l’autre, ce qui lui a valu cette réponse muette, une déclaration d’amour réciproque dans un baiser. Aucun indice, tout est possible. Quoi qu’il en soit, la curiosité est bien là. Et le romantisme aussi.

 

Après toutes ces spéculations, mieux vaut ne pas savoir que le couple s’est séparé et que la femme a réclamé une grosse somme d’argent au photographe en tant que dommages et intérêts pour l’utilisation de son image, plusieurs années après, lorsque l’œuvre a connu un succès véritable.

 

 

Margot Da Silva

29.03.2014

Le Baiser de l'hôtel de ville

Robert Doisneau

1950

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