top of page

« Oublier… jamais »

 

 

2014 est le centenaire du début de la première guerre mondiale. Depuis deux ans déjà, le Musée de la Grande guerre de Meaux a été inauguré, un 11 novembre, par le Président de la République en personne. C’est à l’occasion d’un voyage prévu dans le Pays de Meaux qu’un groupe de personnes âgées s’est rendu dimanche dernier dans ce musée, grande bâtisse aux allures de musée moderne, en périphérie de la ville. Entre recueillement et stupéfaction, les visiteurs se sont découvert un nouveau pan de leur histoire.

 

Le mur blanc et lisse d’un mètre cinquante de hauteur en guise de clôture rappelle celui d’un campement militaire. Le portique passé, des bruissements de moteurs et d’hélices d’avions se font entendre, mêlés à des coups de fusils et de bombardements, annonçant le thème de la visite : la première guerre mondiale. À l’intérieur, l’immersion est complète, comme dans une machine à remonter le temps : les années défilent, 1945, 1928, 1916… jusqu’à 1870, où tout a commencé : la défaite, et, comble de l’humiliation, le couronnement de Guillaume II, empereur de la Prusse. L’Alsace et la Lorraine sont perdues, et il résonne comme une vengeance patriotique : « oublier… jamais ». C’est ce qui est inscrit sur un mur. Mais ça, c’était avant, lorsque cette phrase symbolisait l’humiliation. Aujourd’hui, c’est l’horreur qu’il ne faut pas oublier, et particulièrement celle dont on est témoin ici.

 

Un attroupement se fait devant une vitre, où une matière solide déguisée en écolier a une mine concentrée. En fond sonore, des cris joyeux d’enfants dans une cour de récréation, le son d’une cloche, et la voix d’un professeur qui dicte une leçon de morale. Les cahiers d’époque, visibles derrière une autre fenêtre, rappellent à certains visiteurs cette calligraphie particulière qu’ils ont dû apprendre à reproduire à la perfection, un stylo plume dans une main, un morceau de buvard dans l’autre. En une quarantaine d’années, les choses n’avaient pas tellement changé, sauf peut-être ce discours, dans cette leçon de morale, qui dit explicitement que tout un chacun se doit d’être un citoyen exemplaire, qui défendra sa patrie. Un cinquantenaire s’étonne d’apprendre que l’affirmation de ce patriotisme scolaire est même allé jusqu’à créer des bataillons d’élèves d’école primaire, pour leur apprendre gymnastique et maniement d’armes.

 

Au fur et à mesure de la visite, quelques-uns murmurent d’un air grave : « et dire que ces pauvres gens ne savaient pas qu’ils allaient mourir ». Comme s’ils s’identifiaient à ces « pauvres gens » qui ne partaient que pour un été, passant entre les vitrines où sont enfermés ces reproductions de soldats partant au front.

 

La mine toujours plus grave, ils traînent derrière eux les chaises qu’on leur a confiées, bien trop concentrés sur la mémoire, sur l’horreur qui se déroule devant leurs yeux pour avoir l’idée saugrenue de s’asseoir. « Regardez ces savonnettes, ces petits objets, comme ils nous racontent une histoire ! » s’exclame la guide, amenant les uns et les autres à encercler lesdites savonnettes, témoins de l’effroyable manque d’hygiène qui a valu le nom de « poilus » à ces soldats.

 

Le fossé générationnel est énorme : et même si personne ici n’a plus de quatre-vingt ans, chacun connaît ou a connu quelqu’un ayant traversé cette guerre. « Mon grand-père s’est caché pendant des années pour éviter le service militaire », confie Odette, soixante-seize ans. « C’est ce qu’on m’a expliqué bien plus tard, je n’étais pas née. Ça a été une honte pour lui, mais je n’imagine même pas l’état dans lequel il se serait trouvé s’il y était finalement allé », ajoute-t-elle en observant une photographie du défilé précédant la guerre, avec cet homme, ou plutôt ce qu’il en reste, assis dans ce qui semble être une brouette. Une pièce plus loin, deux enfants d’à peine dix ans s’extasient avec insouciance devant un fusil : « regarde, j’ai trouvé ma mitrailleuse ». Ces mêmes enfants qui, une demi-heure plus tard, frissonnent en entendant le commentateur d’un documentaire diffusé à proximité des tableaux des années 14-18 parler d’un « marécage putride », avec pour seule illustration des cadavres en noir et blanc gisant sur le sol boueux. Un champ de bataille qui a été reproduit et placé au centre de la pièce principale, comme découpé dans une scène initiale, toujours dans cette couleur blanchâtre, parfois teintée de brun, donnant une dimension encore plus réelle. « Vous voyez comme on est passé de l’élan patriotique à ce cimetière ? », questionne une autre guide à l’ensemble de son groupe. Personne n’ose répondre, d’autant plus que la visite s’achève face à des reproductions de croix blanches qui immortalisent tant de cimetières en France, et ces chiffres qui ornent le mur et qui affichent un score inimaginable : près de neuf millions de morts et huit millions d’invalides. Un triste record : la première guerre mondiale est ainsi presque « aussi dévastatrice qu’une bonne petite peste bubonique », ironise une trentenaire.

 

 

Charlotte Cousin

14.02.2014

Le Musée de la Grande Guerre
Rue Lazare Ponticelli, Meaux.
 
Horaires d’ouverture :
De 9 h 30 à 18 h 30 du mois de mai jusqu’au mois de septembre.
De 10 h 00 à 17 h 30 du mois d’octobre au mois d’avril.
 
Tarifs :
de 10 à 7 euros par personne (gratuit pour les enfants)
 

 
bottom of page