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Le zombie trace sa route

 

 

Le réveil est brutal. Quelque chose cloche. L’hôpital semble abandonné. Hagard, le shérif sort de sa chambre. Il y a forcément une explication. Le premier signe de vie est un leurre. Derrière les portes du couloir des grognements acharnés résonnent. Don’t open. Dead inside. Des mains décharnées jaillissent de l’entrebâillement. Le ton est donné. Dans la série TV The Walking Dead il faudra avant tout fuir… pour survivre.

 

Surfant sur la vague des fictions post-apocalyptiques, la série de Frank Darabont (Les évadés) est une libre adaptation des bandes dessinées du même nom. Ce faisant, elle remet au goût du jour une figure devenue ringarde : le zombie. Pourtant, rien de bien nouveau chez le moins glamour des morts-vivants : destitué de toute humanité, il traîne lentement sa carcasse en décomposition dans un seul but ; se gaver de chair, humaine de préférence. Bref, du déjà vu. Sauf que ce qui change chez ces « walkers » (rôdeurs ou marcheurs dans la version française, car à aucun moment le mot « zombie » n’est employé dans la série), c’est leur capacité à questionner l’humanité des quelques personnages survivants dans un monde où l’autre, qu’il soit mort ou pas, représente toujours une menace potentielle.

 

The Walking Dead, c’est avant tout le parcours du shérif Rick Grimes (Andrew Lincoln) devenu par la force des choses le leader d’un petit groupe de trompe-la-mort. Au départ, Rick a des airs de cliché ambulant. Il est beau, il est fort, il représente la loi et, bien sûr, il se bat pour une noble cause : retrouver sa femme et son fils pour ensuite les protéger des méchants. Mais cette image de héros propre sur lui a vite fait de se fissurer. Tout d’abord parce que dans la famille des méchants, les premiers (et les plus facilement reconnaissables) sont les zombies. Et les zombies, impossible de les raisonner. Pour ne pas rejoindre leurs rangs, il faut forcément passer par la case balle dans la tête et autres coups de batte jusqu’à réduire leur cerveau en bouillie. Le shérif, pour assurer son rôle de protecteur est forcé d’atteindre un haut niveau de tueur de zombies. Un côté gore salutaire qui vient salir un personnage qui s’annonçait trop lisse. Mais la descente aux enfers de Rick Grimes ne s’arrête pas là. Achever des morts-vivants passe encore, a priori, c’est un fléau qu’il faut stopper. Seulement pour survivre il faut aussi éliminer les humains. Ceux dont le chaos révèle les instincts animaux ou de despotes. Ceux qui ne servent que leur propre intérêt au détriment de leurs semblables. Plus de manichéisme possible. Le mal s’infiltre partout, aussi rapide à se propager que le virus des zombies. Même Rick bascule. Comme les autres il n’est pas à l’abri de moments de démence ou de commettre des injustices. Désormais, le mal est le lot commun des humains.

 

Le mal, les téléspectateurs s’en délectent autant qu’ils en souffrent. Car The Walking Dead est une fiction d’anticipation qui ne se soucie pas de les materner. Les deux premières saisons annoncent la couleur ; les personnages annoncés comme principaux tombent comme des mouches. Si tant est qu’on puisse parler de réalisme en ce qui concerne une série de zombies, il faut reconnaître que si le monde sombrait dans le chaos, la mort n’épargnerait pas un jeune homme plein de charisme ou une petite fille sous prétexte qu’elle est vierge de tout. C’est le genre de clichés que The Walking Dead n’a pas peur de piétiner. Certes, elle tient à son shérif héroïque, mais c’est pour mieux le malmener. A l’inverse, elle se plaît à montrer sous un jour plus favorable des personnages a priori négatifs. C’est le cas du Gouverneur, le personnage le plus détesté des fans. Despotique, tortionnaire, il est avant tout bouleversé par la perte de sa fille et aspire à retrouver une vie de famille. Au moment précis où le spectateur se met à éprouver de la compassion pour lui, il commet un nouvel acte impardonnable, ne s’attirant plus que haine et désir de vengeance. Dans un autre style, le personnage de Daryl Dixon (absent de la BD originale) passe au départ pour un cul-terreux nerveux et peu commode, dans l’ombre de son facho de frère, Merle. Mais au fil de la série, c’est l’hostilité du monde qui le hisse au rang de personnage sympathique. Habile à l’arbalète, il devient le bras droit de Rick et garde la tête froide là où le leader se laisse submerger par ses émotions.

 

En questionnant ainsi l’humanité des personnages qu’elle met en scène, la série en oublie parfois les morts-vivants. Un mal pour un bien ? Pas nécessairement. En reléguant les zombies au second plan, The Walking Dead dévoile ses ficelles en les montrant tels qu’ils sont ; un ressort dramatique, un prétexte pour pousser les humains dans leurs derniers retranchements, au sens propre comme au figuré. Ainsi, en se cloîtrant dans une prison abandonnée, les protagonistes atteignent – jusqu’à ce jour – l’étape la plus noire de leur voyage forcé. C’est une cage géante. Un endroit glauque aux recoins sombres qui devient le théâtre d’une désolation jusque-là jamais égalée. Les conflits, la maladie, la folie, des morts par dizaines. Et tout ça à cause de créatures le plus souvent absentes et qui ont tout juste le bon sens de faire une invasion surprise de temps en temps. Evidemment, les personnages s’étoffent tandis que les murs de leur inquiétante cachette semblent se resserrer. Mais parfois, le pathos et la parlotte font que le temps devient long. Et les zombies dans tout ça ? Personne ne sait d’où est partie l’épidémie et pas l’ombre d’un début de solution pour la stopper. Il est juste clair que la simple morsure n’est pas en cause. Si un personnage meurt, il reviendra de toute façon en zombie si son cerveau est intact. Une piste alléchante qui en quatre saisons n’a toujours pas été creusée.

 

The Walking Dead ce n’est donc pas que les rôdeurs. C’est Rick Grimes obligé de reléguer ses idéaux aux oubliettes. C’est Michonne, son sabre et ses secrets en bandoulière. C’est le jeune Carl et son innocence enterrée à coups d’arme à feu. C’est Philip Blake, devenu le Gouverneur de Woodbury. C’est Glenn et Maggie qui s’accrochent l’un à l’autre comme à une bouée de sauvetage. C’est des personnages ordinaires faisant fasse à l’extraordinaire. Des miroirs tendus à la société actuelle qui trouve son compte dans leurs faiblesses et leurs instants de bravoure. Une identification qui suffit finalement à pallier la pénurie de zombies pendant les saisons 2 et 3.

           

 

La saison 4, elle, marque le retour en fanfare des morts-vivants. Oubliées les parties de cache-cache dans la ferme des Greene, dans la prison ou dans la place forte de Woodbury. Ce sont les claustrophobes qui vont être contents. Les protagonistes sont à nouveau lâchés en pleine nature, et séparés de surcroît. L’occasion de nouvelles rencontres avec les marcheurs, avec d’autres humains errants et souvent hostiles. Mais aussi l’espoir d’une évolution. Prendre la route, c’est ne plus se contenter de végéter dans un monde qui pourrit. C’est agir. Aller voir ailleurs s’il n’existerait pas une façon de régler le problème. En bref, la saison 4 est, de manière générale, plus dynamique que les deux précédentes. Livrés à eux-mêmes, les personnages éparpillés ne connaissent pas beaucoup d’instants de répit. Certains tentent de convaincre les autres de s’arrêter quelque part, pour se terrer à nouveau. Mais les plus avisés acceptent l’évidence. Il faut retrouver les acolytes perdus en chemin. Débusquer un véritable refuge où ils ne se contenteront pas de survivre. Marcher. Marcher inlassablement. Alors que cette nouvelle quête démarre, les héros n’ont jamais été plus proches de ceux dont ils cherchent à se protéger. Comme les zombies, ils errent. S’arrêtent pour assouvir leur faim. Ils ne savent pas où ils échoueront cette fois.

 

Les hommes sont-ils si différents des zombies ? C’est peut-être finalement la question que pose The Walking Dead au public contemporain en associant le thème de l’errance à une exploration de personnalités complexes. Si les marcheurs sont à l’image des protagonistes et que les protagonistes eux-mêmes sont à l’image des téléspectateurs c’est donc bien un miroir cauchemardesque qui est à l’œuvre. C’est là que l’attraction exercée par ces revenants qui pourrissent sur pieds pourrait prendre racine. Et au-delà de ces considérations un brin déprimantes, il y a l’espoir. Cette foi en l’humanité qui donne envie de croire que le berger Rick mettra ce qui reste de son troupeau définitivement à l’abri et trouvera la paix. Et surtout qu’une méga tuerie de zombies sanglante à souhait terminera la série comme elle a commencé.

 

 

Cassandre Fabre

23.05.2014

The Walking Dead, la série.

Intégrale des saisons 1 à 3 en DVD,  50€ en magasins.

Diffusion de la saison 4 en VF à partir de mai 2014 sur OCS

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