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Le théâtre des Princes

 

 

Son nom seul suffit à faire frissonner d’effroi les téléspectateurs allergiques à l’art de l’hypocrisie. Pourtant, l’émission « Les Princes de l’amour », diffusée en fin d’après-midi sur W9, a remporté un franc succès. Essentiellement auprès des adolescents, certes. Mais un succès tout de même. Décryptage du dernier phénomène de la télé-réalité.

 

Ibiza. Une villa résolument moderne plantée au milieu d’un paysage aride. A l’écart de tout, dirait-on. C’est dans ce décor bien calibré que six jeunes hommes posent leurs valises. Le public averti les aura reconnus. Tous ont déjà participé à une précédente émission de W9, « La Belle et ses princes presque charmants » célèbre pour ses confrontations inégales ; d’un côté les beaux gosses, de l’autre les physiques dits « atypiques ». Dès le premier épisode des « Princes de l’amour », il est évident que la même recette sera servie. Une fois encore, un match semble s’annoncer entre ces messieurs tout en muscles, avides de prouver leur supposée supériorité, et les autres, empêtrés dans leurs défauts physiques et leur faible caractère. Seulement cette fois, contrairement à ce qui était donné à voir dans « La Belle et ses princes », les garçons sont à l’honneur. Tous les garçons. Chacun a la possibilité surréaliste de gérer à sa façon un mini harem qui lui est servi sur un plateau par la chaîne. Il y en aura pour tout le monde.

 

Sébastien, Quentin et Anthony ne semblent pas croire à leur chance. Comme si la production ne leur avait pas déjà annoncé la couleur. Florian, Benjamin et Alexandre, quant à eux, se frottent ostensiblement les mains à l’idée d’avoir les pleins pouvoirs face à la gente féminine. De manière générale, le programme n’est flatteur pour aucun d’entre eux. Si les trois premiers inspirent en premier lieu la sympathie par leurs maladresses, ils finissent par incarner une morale surprenante qui pourrait être le slogan de l’émission : un homme qui a le choix abuse toujours de sa position, qu’il soit beau ou laid.

 

Les jours passent et régulièrement, chaque « Prince » se voit dans l’obligation d’éliminer la prétendante qu’il aime le moins. Cette dernière est aussitôt remplacée par une autre jeune femme et ainsi de suite, jusqu’au terme de l’émission où le candidat tant désiré doit faire son choix final. C’est l’occasion d’un défilé bien orchestré où les stéréotypes sont, une fois de plus, rois. La femme désirable est mince et porte une minirobe. Elle se maquille de préférence sans miroir et dans le noir (comment expliquer son visage orange et ses yeux au beurre noirs autrement ?). Elle est aussi nécessairement juchée sur des talons de douze centimètres. A l’inverse, la femme moyenne, celle censée correspondre aux candidats moins gâtés par la nature, peine souvent à maintenir son IMC idéal. Mais elle a le droit de se maquiller comme les autres, W9 leur doit bien cela. La plupart de ces femmes ont un point commun : un sens de la verve désarmant qui n’est même pas sûr de leur valoir une minute de gloire au Zapping : « Moi, j’suis caliente, toi t’es trop fade. J’te souhaite bonne chance, t’en auras besoin », balbutie Emilia en voulant narguer Chloé. « Bah tu sais quoi ? Va partir à la nage », rétorque sa rivale tout aussi inspirée. Il est certain que cette joute orale ne restera pas dans les annales de la télévision. Mais le spectateur des « Princes de l’amour » ne peut que la garder en mémoire ; elle est rediffusée au début de chaque épisode, de même que les autres grands moments de l’émission.

 

C’est l’une des marques de fabrique du programme. La répétition. A croire que le spectateur a besoin de refrains pour être rassuré. A moins qu’il soit amnésique, ce qui expliquerait que les deux derniers épisodes en date soient rediffusés chaque jour. Le contenu lui-même est basé sur la répétition. Pour la plupart des couples potentiels, le schéma est le même : la rencontre, le coup de foudre respectif (ou pas), le premier rendez-vous, les tensions qui naissent et explosent, le rendez-vous de la dernière chance et, enfin, l’élimination ou la qualification de la jeune femme.

 

Pour avoir une chance d’être sauvées, les prétendantes doivent jouer le jeu. Cette expression, régulièrement placée dans les conversations entre les candidats, signifie s’enliser dans un rapport de séduction inégal. L’homme se pavane et brise des cœurs, la femme lui prépare son petit déjeuner le matin et fait des concours de booty shake la nuit. Au final, difficile de dire quel parti est le plus à plaindre. Mais malgré l’accumulation de clichés vieux de centaines d’années, le spectateur ne peut s’empêcher de trouver un intérêt à regarder cette basse-cour s’agiter derrière son écran.

 

Il y a une sorte de jouissance, comparable à celle du public antique devant les combats de gladiateurs, à attendre le verdict des « Princes » et à voir leurs prétendantes se battre entre elles pour atteindre le plus haut degré d’une féminité qui fait rêver les plus naïfs et consterne les autres. Cette dimension de spectacle est accentuée par l’aspect théâtralisé du programme qui recueille visiblement les propos des candidats selon un scénario prévu à l’avance. Parfois cela sonne faux. Tout est excessif. Mais lorsque c’est trop, la fascination, qu’elle soit assumée ou non, est souvent au rendez-vous.

 

 

Cassandre Fabre

06.02.2014

Les Princes de l'amour

Disponible en replay 

www.w9.fr

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