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La peinture vraie d’une faussaire

 

 

Mireille Landelle, peintre et faussaire pour le cinéma et la télévision, vit dans un appartement un peu caché, aux portes de Paris, qui lui sert également d’atelier. C’est au milieu du foisonnement de ses oeuvres qu’elle a choisi de répondre à quelques questions.

 

Que pouvez-vous dire de votre parcours ?

J’ai toujours peint. Mon père était architecte et ma mère était peintre. Elle faisait des portraits, alors par esprit de contradiction peut-être, je me suis d’abord lancée dans l’abstrait. C’est par le biais de la publicité et du cinéma que je suis revenue au figuratif. A ma sortie des Beaux Arts, j’ai fait de la retouche photo pour Hara-Kiri, des décors pour Dorothé, puis beaucoup de travaux pour le cinéma et je suis repartie vers la peinture proprement dite à la naissance de ma fille qui a aujourd’hui vingt-trois ans. J’ai commencé par de petits portraits d’elle en pensant qu’ils n’intéresseraient que moi. J’ai été surprise de voir des gens fondre devant ces tableaux. En fait ils partagent ce côté intimiste, cette mise en scène des petits moments de la vie. Parce qu’au final, la vie c’est quoi ? La vie, c’est une accumulation de petits moments de bonheur. C’est ça que j’essaye de mettre en avant dans mes peintures.

 

Pourquoi avoir choisi la peinture ?

J’aurais bien été chanteuse mais je ne sais pas chanter (rires). Le fait est que je ne sais rien faire d’autre. Mais ce sont aussi les rencontres bien sûr, les professeurs, les amis...

 

Et qu’est-ce qui vous a poussée à être faussaire plus spécifiquement ?

J’ai d’abord été spécialisée dans les découvertes. Dans le temps, en studio, on peignait des cyclos, au fond du plateau. Par exemple, quand on voyait un paysage derrière une fenêtre ce n’était pas un vrai paysage, c’était une peinture. J’aimais beaucoup ça. Puis il y a eu l’incruste et je me suis retrouvée à faire du bâtiment en quelque sorte et ça ne m’a pas plu. Idem pour la patine. Du coup j’ai commencé à reproduire les tableaux qu’on voit dans les films, parce que bien évidemment ce ne sont jamais des vrais que vous voyez à l’écran. Comme je suis rapide et efficace, ça a marché et j’ai continué.

 

N'est-ce pas désagréable de travailler pour des commandes, avec des impératifs ? Ne vous sentez-vous jamais bridée ?

Non, au contraire ! J’adore me plonger dans l’univers d’un peintre. Ça fait découvrir un peintre différemment de travailler dessus. On ne nous demande pas un double de la peinture, on doit aller à l’essentiel du peintre, trouver par exemple ce qui fait que c’est du Berthe Morizot au premier coup d’oeil, décortiquer ses oeuvres, comment elle peint, comment elle tient son pinceau, la violence du coup de pinceau...

 

Et il vous faut combien de temps pour saisir ça ?

Le problème avec le cinéma, c’est que c’est toujours pour hier. Il faut être le plus rapide possible donc c’est quasi-instantané, ou du moins ça doit l’être.

 

Et quand vous n’avez ni impératifs ni délais à respecter, combien de temps passez-vous en moyenne sur un tableau ?

D’un après-midi à cinq ans, ça dépend. Un de mes préférés a été bouclé en deux heures. C’est un portrait de ma fille dont les couleurs sont venues toutes seules. Parfois je mets des choses de côté puis je les reprends, ou pas d’ailleurs. Alors ça peut traîner longtemps. Mais quand je sais ce que je veux faire ça va très vite. Ce qui est long, c’est la recherche.

 

Qu’est-ce que vous aimez le plus dans votre métier ? Et qu’est-ce que vous aimez le moins ?

Le plus, c’est la liberté, sans hésiter. Et le moins… Se salir ! Non, je plaisante. Enfin pas tant que ça, on est toujours couvert de peinture, regardez-moi ça ! Bon, sérieusement. Je dirais que la peinture c’est aussi de grosses angoisses, de grands doutes surtout, malgré la liberté.

 

Quelles sont vos principales sources d'inspiration ?

Souvent c’est trois fois rien ! Une belle lumière sur un visage, sur quelque chose qui devient beau tout d’un coup. Ça suffit. Je pars souvent des personnes isolées, pas des foules. L’autre jour, j’ai trouvé une jolie jeune fille dans le métro, au milieu de tous ces gens tellement laids. J’ai eu une sorte de coup de foudre. Je lui ai parlé et elle a accepté que je la peigne. Elle vient demain, j’ai hâte de voir ce que ça va donner. Pour revenir à mes sources d’inspiration, j’avais commencé une série où je m’enfermais un peu sur moi-même, mais j’ai abandonné, c’était trop déprimant, ça me réussit moins.

 

Le reste du temps, vos modèles sont-ils souvent des personnes que vous connaissez ?

Il y a ma fille, dont je parlais tout à l’heure, mais aussi ma nièce. Les autres sont plutôt des personnes qui ne font pas partie de mon entourage. Ma fille s’est toujours bien prêtée au jeu jusqu’à ses quatorze ans puis avec l’adolescence elle n’a plus trop voulu que je la peigne, jusqu’à ce que l’envie lui revienne. En tout cas je ne l’ai jamais forcée. Pareil pour le nu. Avec moi elle n’a plus du tout de pudeur mais si elle en avait eue j’aurais respecté sa réserve. En revanche je ne me vois pas en faire avec une personne que je ne connais pas assez.

 

Avez-vous déjà, malgré tout, connu des pannes d’inspiration ?

Oui, ça m’est arrivé très récemment. Je suis en ce moment tout juste en train de m’en sortir. Je suis restée plus d’un an sans toucher à mes pinceaux, ce qui ne m’était jamais arrivé auparavant. Ma séparation d’avec mon mari a été très difficile, très douloureuse. Certains artistes ont au contraire besoin d’être torturés pour créer. Moi pas. Je me suis sentie vidée. Et puis toutes les images que j’avais de côté ou en mémoire, donc mes sources d’inspiration, étaient liées à lui et je ne tiens pas à m’y replonger. Je dois donc repartir d’éléments neufs. Là ça y est, je suis relancée.

 

 

Margot Da Silva

10.05.2014

Instant volé
 
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