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La fille qui devient mère

 

« Elle croit que je suis sa mère. Ça me fait peur, cette confiance qu’elle met en moi. C’est pas normal, je me dis. Elle le croit vraiment, que je suis sa mère. Elle ne sait pas que je suis cinglée, mauvaise, une catastrophe ambulante, un bloc de culpabilité, une punition. » C’est avec ces mots que Justine Lévy démarre son troisième roman Mauvaise fille. La silhouette fine, de longs cheveux bruns et des yeux noirs qui fuient le regard, la jeune écrivain n’aime pas être au centre de l’attention. Elle, se fait généralement discrète, aussi petite que possible, et quand elle prend la parole, les mots sortent de sa bouche à toute vitesse « pour ne pas embêter les gens trop longtemps ». Mais une fois la plume à la main, Justine Lévy n’est plus la même, et sur ses pages, les mots claquent et s’entrechoquent.

 

« La dernière fois, je n’avais pas fait de signature. J’avais un peu peur du contact frontal avec les lecteurs. » Justine Lévy est une timide. Cela se voit tout de suite. Sur les plateaux de télévision ou devant un public, l’écrivain peine à dissimuler son stress. Son sourire est pincé, nerveux. Son pied tape le sol dans un rythme effréné et ses mains semblent essayer de se raccrocher à tout ce qui passe pour ne pas trop trembler. Pourtant, une fois lancée dans la littérature, l'auteur reprend ses marques. Les épaules se lâchent un peu. En terrain connu, le stress est toujours là mais les livres forment un rempart qui la protège.

 

Trois livres. Trois romans. Trois autofictions. Le rendez-vous d’abord, publié en 1995 alors que la jeune écrivain n’a que vingt-et-un ans, aborde ses relations complexes avec sa mère, la mannequin fétiche des années 1970, Isabelle Doutreluigne. Le livre est apprécié mais passe, comme elle, sans trop de bruit. C’est en 2004 que les média commencent à s’intéresser à ce petit bout de femme dont les mots écorchés volent sur le papier. Son deuxième roman, Rien de grave, est encensé par la critique. Relatant la liaison de son mari de l’époque, Raphaël Enthoven, avec la chanteuse Carla Bruni, alors compagne du père de celui-ci, le livre est vendu à plus de 110 000 exemplaires en moins d’un mois et reçoit le prix Le Vaudeville ainsi que le Grand Prix Littéraire de l’Héroïne Marie France. Cinq ans plus tard, c’est au tour de Mauvaise fille de faire son entrée sur le marché littéraire. Le succès est à nouveau immédiat et le roman est sélectionné au prix Goncourt.

 

Trois romans, donc. Là encore, Justine Lévy reste timide et ne monopolise pas l’attention, ni le marché littéraire. « Trois livres en quinze ans, on ne pourra pas dire que j’encombre les librairies », plaisante-t-elle. Mais pour elle, l’objectif n’est pas d’écrire pour écrire. C’est plutôt un besoin. « Je ne me sens pas écrivain professionnelle. Je n’écris pas tous les matins en me levant. Je peux me passer d’écrire pendant longtemps. Un jour, j’en ressens le besoin. C’est presque physique. Ça cogne et il faut que je m’y mette. Mais ça peut prendre cinq – dix ans. »

 

 

Des livres pour Maman

 

Et c’est en effet bien comme un besoin de dire, presque comme une thérapie, que l’écriture de Lévy se reçoit. Car si pour certains auteurs, c’est avant tout la partie fictionnelle de l’autofiction qui prévaut, chez elle, l’autobiographie a la part belle. « Au fur et à mesure que je vieillis, je vais de plus en plus vers l’autobiographie », constate-t-elle en riant. Écrire pour se soulager, écrire pour s’exprimer, mais surtout écrire pour ne pas oublier. C’est avec sa mère surtout que le contact se fait par l’écriture. Son premier roman est un cri du cœur, un cri d’amour. « C’était plus une charge contre les années 1970 que contre ma mère », dit-elle. Elle y aborde alors cette mère fantasque, en marge de la société et « un peu à l’ouest » que les drogues ont ravagée avant que le cancer ne l’achève. Déjà, les mots sont durs, la plume bien affirmée lance besoin d’amour et amertume contre ces années perdues où sa mère avait tendance à oublier son rôle. « L’amour n’est pas suffisant pour un enfant. On n’est pas juste mère parce qu’on donne vie à un enfant.» Ce n’est pas parce qu’on est mère, ou que l’on aime son enfant, que l’on devient maman. Cette idée parcourt les pages de ce rendez-vous qui semblait manqué d’avance. « Maman. Ma maman, écrit-elle. Je l’appelle maman quand je parle d’elle. Mais pour bien lui signifier combien le rôle lui va mal, ou la dépasse, je lui donne de l’Alice quand elle est là. » Le cri est entendu : Alice (l’Isabelle du livre) retrouve sa fille. « Elle avait vraiment aimé ce livre. On s’était d’ailleurs rapprochées à la faveur de ce roman » se souvient-elle avec nostalgie.

 

Un livre pour se rapprocher. Un autre pour ne jamais l’oublier. Mauvaise fille est presque un livre d’hommage à cette mère disparue avant d’en avoir été une. Quand Louise (Justine Lévy) apprend qu’elle est enceinte de son nouveau conjoint, Pablo (le comédien et réalisateur Patrick Mille), le bonheur est de courte durée. Alice vient de faire une rechute dans son cancer du sein. Mais comment être triste quand on est heureux ? La culpabilité ronge la jeune femme alors que ses mois de grossesse sont rythmés par la lente agonie de sa mère qui s’éteint peu de temps avant la venue au monde d’Angèle (Suzanne, première fille du couple). « C’est un drôle de mystère du sort qui a fait que la femme que j’aimais le plus au monde est morte au moment où la fille que j’allais aimer le plus au monde naissait, constate l’auteur. C’est la vie qui se défend contre la mort qui vient. » Amour, peur, deuil, abandon, les thèmes se mêlent dans un mélange détonnant où certes, la vie gagne, mais où la mort laisse un goût âcre dans la bouche. « Je crois qu’on ne fait jamais le deuil de sa mère, dit-elle en baissant les yeux. Le temps aura beau passer, je me demanderai toute ma vie quel genre de grand-mère ma mère aurait été. »

 

Paul Claudel a un jour dit que "l’écriture a ceci de mystérieux qu’elle parle". Justine Lévy n’aime pas parler. Au fil des pages, l’encre sur le papier prend le relais.

 

 

Amandine Duphil

20.05.2014

 

 

 

 

Alsace 20. « Justine Lévy nous donne une bonne raison de lire ». 29 octobre 2010.

YouTube <https://www.youtube.com/watch?v=CArkBmuc_wo> (consulté en ligne le 22 avril 2014).

 

Tout le monde en parle. Interview Justine Lévy. 18 octobre 2010.

Dailymotion <http://www.dailymotion.com/video/xf97ef_interview-justine-levy_news> (consulté en ligne le 21 avril 2014).

 

Librairie Dialogues. Interview de Justine Lévy. 29 novembre 2010.

YouTube <https://www.youtube.com/watch?v=BOia6Q-5bDg> (consulté en ligne le 22 avril 2014).

 

Fnac Paris Montparnasse. « Rencontre Justine Lévy » (parties 1,2, 3). 23 novembre 2009.

YouTube <https://www.youtube.com/watch?v=v0XeV9oD3j0> (consulté en ligne le 21 avril 2014)

 

Wikipédia. « Justine Lévy ». <http://fr.wikipedia.org/wiki/Justine_Lévy>.

 

Le rendez-vous, Plon, 1995
Rien de grave, Stock, 2004
Mauvaise fille, Stock, 2009
 
 
Mauvaise fille, réalisé par Patrick Mille, nov. 2012
Voir la bande-annonce ici
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