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Diglee, forever bitch mais pas que.

 

 

Une frange épaisse. Des Wayfarer vissées sur un nez qui lui dévore le visage. Un déguisement. C’est l’impression que donne l’ancien look de Maureen Wingrove alias Diglee. Sauf qu’entre la publication de sa BD Forever Bitch et la préparation d’Anna, un projet moins léger, la jeune dessinatrice, auteure et illustratrice lyonnaise s’est délestée de tout ce qui semblait la cacher aux yeux de son public.

 

C’est une Diglee brune et débarrassée de sa garde-robe pastelle qui s’affiche désormais sur les réseaux sociaux mais aussi sur son blog qu’elle laisse de plus en plus à l’abandon. Exit (ou presque) les déclarations d’amour aux licornes et les allusions coquines à Michael Fassbender, elle ressent plus que jamais le besoin d’explorer d’autres facettes de son métier et de sa personnalité. D’où un blog laissé pour compte, bien qu’il ait fait son succès il y a quatre ans. Car plus que jamais, Diglee privilégie la BD imprimée. Désormais, il ne s’agit plus pour elle de raconter uniquement des anecdotes humoristiques de sa vie quotidienne. Paradoxalement, ce revirement la met à nue plus que jamais.

 

« … je ne surfe depuis quatre ans que sur une seule de mes facettes, déclare Diglee dans son post du 30 décembre dernier. « …Quand l’étiquette du  ‘Girly’ est arrivée, j’ai cru bon d’en jouer, de me l’approprier, d’en rire. [...] Jusqu’à ce que cette bribe, cet échantillon prenne le dessus, englobe tout mon travail, et annihile tout effort d’écriture, de réflexion, d’émotion. […] En voulant rire de ma superficialité ponctuellement, je l’ai fait exister davantage, je l’ai érigée en vérité, et me suis enfermée dans une image réductrice que je pensais pourtant combattre. »

 

En voulant échapper à cette image « superficielle » qui lui colle à la peau, Diglee se met réellement en danger. Et elle en a conscience. C’est donc pleine de passion mais aussi d’incertitudes qu’elle se lance dans Anna, une BD à paraître en noir et blanc avec les années folles et l’érotisme pour toile de fond. Pourtant, depuis le départ, les lecteurs étaient prévenus. Derrière les paillettes et la fan inconditionnelle de Lady Gaga s’est toujours cachée une féministe révélée par petites touches au fil des planches. Sa dernière BD en date, Forever Bitch, est un témoignage de ce côté girly chahuté par un féminisme latent.

 

« Bitch ». Un mot qui n’est pas anodin dans la jeune carrière de Maureen Wingrove. Dans une interview au magazine en ligne Grazia.fr, la dessinatrice explique le choix de son titre. Elle y souligne la banalisation de ce terme et le compare à l’insulte « nigga » (nègre) que se sont réapproprié bon nombre de rappeurs américains. Diglee se dit « réellement sceptique en tant que femme face à la vulgarisation de ce terme et en même temps fascinée par le phénomène ». En choisissant d’en faire un titre, elle dit vouloir être le témoin de cette réalité. Sauf que c’est précisément ce genre de choix qui a fini par l’enfermer dans la case dessinatrice pour filles.

 

A la voir aborder les tribulations sentimentales de trois pré trentenaires, il est en effet facile de l’enfermer dans ce carcan. Mais ce faisant, Diglee parle de sexualité décomplexée à travers des personnages féminins insolents et drôles. Un portrait plutôt moderne de la gente féminine. Il n’y a qu’à voir le personnage de Maud. Avide d'oublier un homme qui a beaucoup compté pour elle, elle multiplie les rencontres, quitte à vivre des expériences sexuelles insolites. Gentiment trash, elle ne se prive pas de raconter les détails à ses meilleurs amis! Ainsi, si l’univers de Diglee est résolument girly, il n’en met pas moins en scène des femmes qui, si elles n’échappent pas toujours aux clichés, ne restent pas figées dans un monde bien comme il faut.

 

Difficile alors de ne pas faire le parallèle avec l’artiste elle-même. Diglee a longtemps joué avec les clichés en se mettant en scène sur son blog puis dans les adaptions de celui-ci en bandes dessinées. Un brin hystérique face à Larry (Robert Downey Jr dans Ally McBeal), les mini-shorts ou encore l’ambiance de Noël, elle en fait finalement son fond de commerce. Et le succès est au rendez-vous. Maureen Wingrove devient Diglee, la binoclarde attachante, une mademoiselle-tout-le-monde à laquelle il est facile de s’identifier. Mais en filigrane apparaissent des éléments qui suggèrent plus de profondeur. Ses lectures, Anaïs Nin en tête. Son affection pour la communauté gay. Sa fascination pour les années 1920. Et aussi une analyse du monde beaucoup plus fine qu’il y paraît. C’est comme si elle avait semé des pistes à explorer plus tard.

 

Il aura fallu un renouveau personnel pour que Diglee tente un tournant professionnel. Un renouveau qui concerne avant tout ses amours. Avec pudeur, elle évoque dans un post une rupture douloureuse… pour enchaîner avec l’annonce d’une nouvelle rencontre amoureuse. Volage, Diglee ? Discrète, plutôt. Loin d’elle l’idée de s’épancher sur ses malheurs à chaud comme une adolescente écervelée. Pour ce qui est du bonheur, c’est un peu plus spontané, comme en témoignent les selfies qui peuplent son compte Instagram. Mais si la jeune femme accepte de dévoiler une part de sa vie sentimentale, c’est qu’elle y a mûrement réfléchi au préalable. Ses lecteurs n’auront jamais les détails de ce qui la touche de trop près, comme le nom de cet obscur ex visiblement responsable d’une période noire de sa vie. Car Diglee ne mélange pas tout. Elle raconte certaines anecdotes privées mais jamais vraiment ses histoires intimes. En réalité, elle en dit juste assez pour donner une dimension humaine au personnage qu’elle est devenue.

 

Il ne faut pas se mentir, si Diglee affiche ainsi son récent changement de look et sa remise en question c’est aussi pour mieux préparer ses lecteurs à ce qui les attend dans sa BD à paraître. Anna restera vraisemblablement ancrée dans un univers féminin mais le cadre historique promet de déstabiliser les fans de la première heure en les emmenant vers des contrées plus sombres et sûrement plus osées. C’est du moins ce que laissent présager les planches révélées sur internet, notamment celle dévoilant une scène d’avortement. Nul doute que Maureen Wingrove surprendra. Mais il y a aussi fort à parier qu’elle n’est pas prête de se défaire totalement de cette légèreté qui fait d’elle une artiste si agréable à lire. Michael Fassbender faisant un retour furtif dans le post du 27 mars, il y a fort à parier qu’une anecdote girly et réjouissante viendra d’ici peu colorer le blog noirci par les esquisses de la prometteuse Anna.

 

 

 

Cassandre Fabre

09.05.2014

 

 

 

http://diglee.com/
Diglee, Forever Bitch, 14€ en magasins.
Diglee, Anna, à paraître
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