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Celui qui peignait les princes

 

 

Avec son nez long, ses yeux presque noirs, et son crâne légèrement dégarni, le visage atemporel nous accueille à l’entrée de l’exposition. François Gérard (1770-1837) a passé sa vie à peindre le beau monde du début du 19ème siècle mais, ironiquement, ne s’est consacré qu’un unique autoportrait. Ce sont les autres qui l’ont immortalisé. Sur la toile ou dans la pierre, les traits du peintre demeurent à jamais, mais son nom, lui, a parfois été oublié. Pourtant, ses travaux sont présents dans les plus grands palais du monde. Initiateur de ce qui sera « la peinture mondaine », l’artiste est prisé par toutes les têtes couronnées d’Occident. Napoléon, Louis XVIII, Charles X, mais aussi Frédéric-Guillaume III et Alexandre Ier ; tous, seront immortalisés sur la toile du génie à l’œil méticuleux. À l’occasion du bicentenaire des Adieux de Napoléon, le château de Fontainebleau consacre, du 29 mars au 30 juin 2014, une exposition rétrospective à celui qui fut l’un des plus importants peintres impériaux.

 

Il y a Antoine-Jean Gros (1771-1835) et Jacques-Louis David (1748-1825) pour les tableaux héroïques. François Gérard, lui, fait partie des intimes. S’il a fait ses armes durant la période révolutionnaire, c’est durant l’Empire que le peintre acquiert sa renommée. Son coup de pinceau interpelle et charme le public. Joséphine n’est pas encore impératrice quand elle commande son premier portrait à l’artiste en 1801 (Joséphine en toilette d’intérieur, 1801). À demi-allongée sur un divan aux couleurs chatoyantes, l’épouse du Premier Consul se présente en toute simplicité. Le tissu vaporeux de sa robe se mêle au teint nacrée de sa peau, alors que seules quelques perles viennent agrémenter l’éclat doux de ses yeux. Dans son abri luxuriant, Joséphine se présente en belle de l’Ancien temps et sous ses pieds, le tapis rend l’atmosphère encore plus intime. Le charme prend. Napoléon, envoûté, fait tisser le portrait par la manufacture des Gobelins en 1806. La carrière du peintre est lancée.

 

Dès le début des années 1800, Gérard est ainsi assigné à figer sous son pinceau les traits de ceux qui écriront une page importante de l’Histoire de France. Et si l’Empereur apprécie les représentations épiques de Gros et David, ce qu’il aime chez Gérard, c’est sa recherche du vrai et de l’intime. « Attentif à la ressemblance et à l’attitude qu’il voulait de la plus frappante vérité tout en forçant la nature à paraître toujours un peu plus belle, exigeant quant à la pureté du dessin, à la justesse des tons, à la transcription illusionniste des matières, au soin et au fini de l’exécution, le peintre demeurait tout empreint de l’esprit du XVIIIème siècle.[1] » Dans chacune de ses œuvres, un détail rend le sujet vrai, présent dans la salle. En le fixant sur la toile, le génie de Gérard le fait sortir du cadre.

 

 

Des portraits pour immortaliser la gloire 

 

Elle est assise de biais. Le regard fixe, elle fait face. Elle est l’une des femmes les plus puissantes de l’empire de France et en a bien conscience. Sous son lourd manteau de velours rehaussé de pierres précieuses, la soie de la robe glisse et bruisse à chacune de ses respirations. Dans ses cheveux, le voile, rebrodé d’or, illumine les perles de son diadème. A ses côtés, le buste en marbre de l’Empereur observe avec bienveillance et reconnaissance chacun de ses gestes. Madame Mère peut être fière de son fils. D’ailleurs, est-ce une lettre de sa part posée sur la table ? Interrompue par le bruit, elle n’a pas fini de la lire. Elle s’y remettra plus tard, quand le musée fermera et que les salles seront éteintes.

 

François Gérard exécute ainsi plusieurs versions du portrait. Avec ou sans camée sur les cheveux, le manteau bleu ou vert, le buste de Napoléon couronné ou en habit militaire, le peintre conserve cependant toujours la même attitude digne et noble de Marie-Laetizia et accentue la noblesse et la gloire de Madame-Mère. Un siècle plus tard, à l’occasion de l’exposition universelle de 1900 où l’un des tableaux est exposé, André Michel écrit: « Le portrait de Mme Laetitia est en même temps celui d’une vieille dame et d’une mère d’empereur ; dans le parti pris sévère et somptueux de la composition, dans l’ameublement de ce grand salon ouvert sur un paysage crépusculaire, dans la majesté de la robe en velours vert et des voiles étoilés d’or qui l’enveloppent, Madame Mère, assise près d’une table où elle vient de déposer une lettre ouverte et que domine un buste de l’empereur, apparaît, avec le rayonnement profond de ses yeux mordorés, l’expression pensive et ardente de son maigre visage, dans la vérité de sa ressemblance à la fois intime et historique.[2] »

 

Lui faisant face, entouré de ses deux épouses successives, Joséphine (L’Impératrice Joséphine (1763-1814) en habit du sacre, 1807) et Marie-Louise (Marie-Louise en grand habit, 1812), Napoléon trône en costume d’apparat sur tout un pan de mur. Dans cet immense tableau en pied (225 x 147 cm), Napoléon exprime ici tout son charisme et sa puissance de nouvel empereur. Debout devant le trône imprimé de son sceau, le César regarde son peuple droit dans les yeux. Face à la posture franche du souverain, sa petite taille est vite oubliée. La main droite gantée et cernée d’un anneau d’émeraude tient fermement le sceptre sur lequel l’aigle repose. Sur la couronne, pas de diamant, mais les cinquante-six feuilles de laurier en or reposent avec panache sur la tête de l’Empereur. L’hermine immaculé piqueté de noir qui double le lourd manteau de velours pourpre brodé d’abeilles dorées laisse présager une douceur incomparable sous les doigts tandis que la cravate de dentelle donne l’impression d’être directement collée sur la toile. À droite, posés sur un coussin, la main de la justice et le globe impérial rappellent, une fois de plus, le sacre de l’homme devenu l’un des plus puissants d’Europe. Napoléon est Empereur. Il est bien décidé à laisser une empreinte majeure dans l’histoire de France. Le grand collier de la Légion d’honneur et l’épée sertie de pierreries présagent déjà du militaire conquérant qu’il deviendra.

 

Ce portrait (Napoléon Ier, empereur des Français en « grand habillement du sacre », 1805-1811) est l’un des préférés de l’Empereur. Selon le commissaire de l’exposition Xavier Salmon, l’œuvre plait « parce qu’elle s’inscrivait parfaitement dans la lignée des portraits de Bourbons en grand habit…[…]. Décrits par Gérard avec une attention extrême, le « grand habillement » comme les ornements impériaux et le trône créé sur un dessin de Percier et Fontaine par Jacob-Desmalter pour le palais de Tuileries (aujourd’hui conservé dans la salle du trône du château de Fontainebleau) auréolaient le nouvel empereur d’un prestige ancien et d’une légitimité nouvelle. La maitrise technique de l’artiste, sa capacité à saisir parfaitement la ressemblance et à transcrire les volumes et les matières, la noblesse de sa composition, son aptitude à conférer une dimension humaine malgré la pompe du sacre, répondaient admirablement au désir du souverain de tout réorganiser afin que rien ne change.[3] »

 

Mais le peuple français demande le changement pour l’Empereur. En 1814, celui-ci est condamné à l’exil. François Gérard est alors certain que sa carrière de peintre est terminée. Rien de tout cela. Louis XVIII vient tout juste d’arriver sur le trône qu’il passe sa première commande à l’artiste (ricordo du portrait de Louis XVIII en costume royal, 1814). Les demandes se suivent. Gérard est nommé premier peintre en 1817, ordonné baron en 1819 et nominé au titre de commandeur de la Légion d’honneur en 1825. Les têtes couronnées continuent de se succéder.

 

Là où son frère avait dû être représenté assis à cause de son trop fort embonpoint, Charles X est dépeint debout, habillé d’un flot de dentelles et d’hermine (Charles X (1757-1836) en habit royal, 1824-1825). Ici, plus de velours pourpre et d’abeilles. Le bleu roi et la fleur de lys ont repris leurs droits. Conforme à la tradition bourbonne, Charles X suit les traces de ses prédécesseurs. Posée sur un coussin de lys, la couronne est au premier plan, et vient faire un pied-de-nez aux lauriers napoléoniens. Ici, les diamants et saphirs irradient de lumière et attirent presque plus l’attention que le souverain lui-même. La monarchie, la vrai, la légitime, réaffirme sa place avec splendeur et opulence. A nouveau, toutes les textures de tissus se ressentent : la douceur de l’hermine, la légèreté et la finesse de la dentelle, et la lourdeur du velours. Tout y est.

 

Mais bien que l’extrême attention portée aux détails continue d’enchanter la belle société, des critiques commencent à se faire entendre. Certes, le grain de peau est toujours aussi beau, mais le charme des premiers tableaux ne s’exprime plus toujours. Le maître est surchargé de travail et se voit contraint de déléguer. Il ne s’occupe désormais plus que des visages, et cela se ressent. Désormais, les glacis et empâtements confèrent aux décors plus d’importance que le portrait lui-même. La recherche de vérité, au départ si importante pour le peintre, est à présent parfois noyée sous l’opulence des ornements. Pourtant, le travail du maître ne cesse pas de plaire et jusqu’au bout, Gérard garde le pinceau au bout des doigts puisqu’en « 1831, à plus de soixante ans, il répondit favorablement à la commande d’un portrait monumental montrant Louis-Philippe, le roi des Français, prêtant serment sur la Charte de 1830. [4]» À sa mort, Gérard possède une renommée telle que son ami, le naturaliste et explorateur allemand Alexandre von Humboldt écrit : « Je perds un ami qui supportait mes faiblesses, qui n’a jamais cessé un seul jour de me donner, absent ou présent, les marques les plus affectueuses de sa bienveillance. Cet attachement réciproque, la circonstance la plus glorieuse de ma longue carrière, était tellement connu, la croyance en était devenue si populaire, que, de Pétersbourg à Naples, on s’adressait à moi pour avoir quelques nouvelles des travaux de M. Gérard, comme on s’adresse à un parent, à un frère. [5]»

 

 

Amandine Duphil

8.05.2014

 

 

 

 

 

[1] Xavier Salmon. François Gérard - Peintre des rois, roi des peintres (1770-1837). Réunion des musées nationaux. Grand Palais. 2014.

[2] Xavier Salmon. François Gérard - Peintre des rois, roi des peintres (1770-1837). Réunion des musées nationaux. Grand Palais. 2014.

[3] Xavier Salmon. François Gérard - Peintre des rois, roi des peintres (1770-1837). Réunion des musées nationaux. Grand Palais. 2014.

[4] Xavier Salmon. François Gérard - Peintre des rois, roi des peintres (1770-1837). Réunion des musées nationaux. Grand Palais. 2014.

[5] Xavier Salmon. François Gérard - Peintre des rois, roi des peintres (1770-1837). Réunion des musées nationaux. Grand Palais. 2014.

Napoléon Ier, empereur des Français en "grand habillement du sacre", 1805-1811.

 

 

« Peintre des rois, roi des peintres »

Du 29 mars au 30 juin 2014

Château de Fontainebleau

De 9h30 à 18h00

Fermé le mardi.

Plein tarif : 11€

Tarif réduit : 5 €

Informations au 01. 60. 71. 50. 70

ou www.musee-chateau-fontainebleau.fr

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