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A la vie, à la mort

 

 

La relation qui unissait Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir est peut-être la plus romanesque du XXe siècle, romans compris. Le couple mythique, reçu la même année à l’agrégation de philosophie, à la première et à la seconde place, a su entretenir son amour de jeunesse jusque dans ses vieux jours. Leur érudition n’est sans doute pas pour rien dans cette longévité. Leur proximité philosophique est un lien rare et non négligeable qui leur a notamment permis de se relire l’un l’autre une vie durant.

 

Pourtant, ils n’ont que peu vécu comme un couple ordinaire. Ils s’étaient promis d’être à l’autre le seul amour nécessaire, en s’autorisant d’entretenir parallèlement des amours contingentes. Ce dont aucun des deux ne s’est privé, parfois même dans le partage. Cet amour à l’épreuve du temps, de l’éloignement géographique et de la jalousie semblait ne pouvoir être rompu par rien, pas même par la mort. Ce n’est pourtant pas ce qu’affirme Simone de Beauvoir par ces phrases restées célèbres : “Sa mort nous sépare. Ma mort ne nous réunira pas. C’est ainsi ; il est déjà beau que nos vies aient pu si longtemps s’accorder.”

 

Une froideur incroyable se dégage de ces mots, et quel fatalisme ! La jeune fille rangée avait refusé de s’unir à son amant par les liens sacrés du mariage jusqu’à ce que la mort les sépare, pour préserver son indépendance. La mort les a séparés tout de même, comme des époux. Malgré l’enchevêtrement de leurs vies, aucune place n’est laissée à l’espoir de retrouvailles post mortem. La brièveté des phrases, tranchantes, exacerbe cette absence de tout espoir. Pas même une nuance, pas même un “je ne pense pas que ma mort puisse nous réunir.” Le futur est sans appel. “C’est ainsi.” Cerise sur le gâteau. Quiconque voudrait négocier cette séparation est bloqué.

 

La fin est plus étonnante encore. Qui après la mort de son partenaire de vie se console d’un “C’est déjà ça ?” Quant au fait que leurs vies aient été accordées, c’est finalement discutable. Incapables de vivre ensemble, de se suffire l’un à l’autre, seuls leurs grands esprits semblent avoir su se rencontrer au bout du compte. C’est du moins ce que laisse penser le détachement apparent de l’écrivaine, qui, quoi qu’elle en dise, restera unie dans la mort à l’illustre personnage qu’elle a aimé, aux yeux des gens, si ce n’est aux siens. D’ailleurs, pour trouver la tombe de Simone de Beauvoir, il suffit de se rendre sur celle de Sartre. Ils reposent dans le cimetière plus proches qu’ils n’ont été de leurs vies.

 

 

Margot Da Silva

02.05.2014

Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre

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